L'identité nationale : faux débat, vraies interrogations ?
Première publication ; propos liminaires.
Il est de ces sujets auxquels personne ne semble avoir de réponse claire, précise, voire même qui semblent tendre à plonger chaque participation dans un marasme terrible, si profondément sombre que celui qui s'y prête en arrive à oublier la lumière des hautes sphères intellectuelles. Point ici question toutefois de s'égarer dans des lieux communs, des faux-semblants, de se laisser aller dans quelque méli-mélo pathético-burlesque d'une droite arrogante et primaire qui explique que l'identité de la France, avant tout, n'est comprise que par notre peuple, ou, pis encore !, qu'elle est nous et que les autres sont à part. Une droite idiote en somme, qu'ils ne sait pas reconaître, tout simplement, où se placer entre langue de bois et mauvaise foi. J'ai pour ma part décidé de ne pas me laisser aller dans les habitus que chaque lecteur peut attendre. Je ne dirai donc pas que l'identité nationale est l'émanation de la société française, son image, son visage. Car là, ce serait pire qu'un lieu commun, ce serait une impasse. Je ne dirai pas non plus qu'il y a un lien entre identité nationale, et nation ; cela n'avance à rien si ce n'est se complaire à ne rien dire. J'éviterai aussi de rassembler les français, ceux qui sentent qu'ils le sont, par un simple positionnement géographique. Être français, c'est là, je crois, non pas le débat mais le fond, vrai, véridique, tangible, de la question. Point de solution toutefois, et encore moins de définition simpliste au problème posé. Car à définir ab hoc et ab hac, on avance peu. Nous savons toutefois déjà ce que ce n'est pas. Car l'identité est par essence opposée à la notion de groupe, de représentation collective. Pourquoi ? Très simplement car une société, une nation, est un ensemble - plus ou moins cohérent - d'individus. Les « grands » philosophes défendront qu'ils ont choisis de vivre ensemble. La réalité concrète s'oppose à cette vision, mais là encore n'est pas le débat. Toutefois, nous avançons, doucement, éliminant au fil de nos pérégrinations les voies du doute, de l'incertitude, de l'égarement aussi. Car avant de parler identité, il convient de définir la nation. Est-elle, tout simplement, l'ensemble des personnes vivant sur le territoire ? Beaucoup diront oui. C'est toutefois une erreur primaire et grossière. A cela deux raisons : la première étant que le territoire évolue avec le temps et que les populations changent, se diversifient, se sédentarisent ou s'expatrient. Les « français de souche » quittant le territoire seraient donc exclus de la Nation. Boiteux tout de même. Seconde chose. Durant des années l'Alsace ne fut pas une terre française, toutefois, les alsaciens, en grand nombre, se sentaient français. Le sol n'a donc pas grand chose à voir avec la vision intérieure, intégrée à la personne, de ce qu'elle est, de son identité, de son moi projeté au sein de sa persona, son « masque » de citoyen, comme élément politique du groupe, de la société. Il faut donc dépasser les a priori géographiques. Être français, car c'est là le vrai débat, c'est avant tout se sentir comme tel, accepter les codes de ce pays, les intégrer, les partager, les transmettre. Car dans l'identité collective, le sur-moi du groupe en tant que formation à visée politique, la société, puis en tant que générateur de la norma, et des institutions l'engendrant, l'incarnant, la défendant, en sanctionnant la transgression, il ne faut pas faire fi de la notion, indispensable, de civilisation. C'est là toutefois la thèse que j'ai décidé de présenter ici. Car l'identité nationale doit être plus qu'un moyen de masturbation intellectuelle. Ce sujet, vaste, indispensable, ne doit pas être une affaire électoraliste, entre l'insécurité, le chômage, puis, insidieusement, une incitation à la haine de l'autre. On ne peut pas envisager de traiter exhaustivement de ce sujet sans « faire un sort » à la question de l'intégration et de l'immigration, qui en sont des parties indissociables. Que faire, après tout, de l'immigré qui a décidé de quitter son pays pour s'installer en France ? Quelle place lui accorder, quels moyens devons-nous engager pour qu'il puisse s'adapter, dans les meilleures conditions, et, à terme, s'intégrer ? La gauche, amoureusement bercée d'idéaux hypocrites, qui par électoralisme, qui par idéalisme, qui, enfin, par sottise, dira qu'une régularisation massive suffit à régler le problème. C'est commode, d'autant que cela permet un gonflement appréciable des listes électorales, offrant ainsi une population nouvelle, non informée, taillable et corvéable à loisir. Sans hypocrisie, et plus sérieusement, j'analyserai plus loin les moyens d'intégration et les conditions nécessaires à leur mise en œuvre. Je ne peux toutefois clore ces propos liminaires sans émettre une remarque. Pourquoi demander à une population qui ne s'intéresse plus à la politique de réfléchir, et pis encore, de prendre position, sur des questions qui lui échappent tant elles sont - devraient être - affaire de spécialistes ? Notre nation, et j'emploie là ce terme terrible à dessein, n'est-elle donc plus capable de réunir, sans que l'on ait besoin d'exiger de ses membres qu'ils le fassent à sa place, les valeurs et les codes nécessaires à son existence et son évolution ? En somme, notre monde est-il à ce point malade qu'il nous faille réfléchir à sa forme, lorsque son cœur saigne de voir les enfants de France se battre les uns contre les autres ?
L'identité nationale : entre Nation et Civilisation, Culture et Identité ; de l'Un singulier au Nous unique.
Je crois que quelques précisions lexicologiques s'imposent. Non pas que j'aime à étaler les définitions du dictionnaire, lequel est un formidable outil normatif de la langue, sa mise en commun et son utilisation par les locuteurs, mais tout simplement car les termes employés ci-dessus semblent se chevaucher. Nous sommes loin toutefois des Walkyries même si Wagner aurait pu poser là leurs ailes de gloire. Car la gloire passée d'une Nation fait sa force, c'est en elle que s'ancrent ses racines, que se portent les lèvres sèches de nos intellectuels lorsqu'ils doivent éclairer notre pensée de leurs lumières, parfois, hélas, assez fuyantes voire clignotantes. Les héros du passé s'en sont allés, ne restent pas forcément les meilleurs pour la fin, mais quelle faim alors si ce n'est un âge d'or singulier, toujours attendu, jamais éprouvé ? La Nation est un groupe de personnes partageant un territoire, possédant une histoire et des structures capables d'assurer leur cohésion. La Civilisation, quant à elle, est un ensemble plus diffus de facteurs abstraits. On devrait l'entendre comme un recoupement, temporaire ou définitif, d'émanations de l'esprit, de ses réalisations, de ses valeurs. La Civilisation serait donc un fantastique mécanisme dont les fruits abreuveraient le monde et que l'on partagerait avec les autres Nations. La Civilisation est donc l'émanation la plus haute de ce que notre Nation peut offrir ; s'y regroupent la littérature, les Arts, la philosophie... Elle est, en quelque sorte, l'Esprit là où la Nation est le corps. Ces deux termes sont donc complémentaires.
La Culture est, quant à elle, plus restrictive, et plus mouvante. Elle n'est que la production à un moment donné de la Nation. Mais alors, quel distingo effectuer entre Civilisation et Culture ? Une coupe nette, franche, au sabre de la raison s'impose. La Culture est un des facteurs assurant la cohésion de la Nation, elle est l'incarnat de la norma, une forme matériellement admise des valeurs auxquelles chaque français accorde de l'importance. Mais là encore, deux catégories à établir ; d'une part les valeurs fondamentalement humaines - le respect de la vie - et de l'autre les codes culturels - la politesse, les usages de langue, etc. -.
En somme, s'opposent les corps et les esprits, les éléments physiques, matériels, géographiques (le lieu de naissance, la famille) et les valeurs spirituelles, l'éducation, la mimesis sociale. Oui, et non. Pourquoi ? Car l'idéal du vivre ensemble, de ce qui fait que les hommes ont besoin de se grouper en société, et les philosophes parleraient là mieux que moi sur ce sujet, fait que nous avons besoin les uns des autres et que la paix ne se construit qu'en prenant en cause un va et vient permanent de l'individuel au collectif. Personne n'oserait remettre en cause, en pleine mode des droits de l'Homme, la parfaite permutabilité des personnes (considérant que nous sommes tous égaux et que, logiquement, des êtres égaux sont forcément semblables, à peine de ne pas pouvoir les comparer ) Toutefois, on ne peut, non plus, tenter de défendre une égalité réelle, physique, morale, intellectuelle, entre les individus. Car, et le nom confié à ce terme suffit à nous éclairer sur son sens : l'individu, l'indivis latin, c'est à dire l'ensemble des traits constitutifs d'un être, la carte d'identité de ses différences, de sa singularité. Laissons aux marxo-socialistes le soin de démontrer le contraire et ne doutons pas que les vaches maigres de leurs récoltes se pouvaient comptabiliser avec les grains de blés et obtenir ainsi des résultats agricoles capables de garder toute notre planète de la famine pendant quelques millénaires. N'enlevons pas aux utopistes éclairés d'obscurantisme leur soin maladif de ne pas reconnaître à chacun le droit d'être différent. Mais pourquoi cette parenthèse sur les spécificités de la personne ? Car la Nation est un ensemble, unique, « mono-bloc » composé d'individus radicalement différents. Le ciment qui va les relier, ou pas, c'est l'identité nationale, ce qui fait non pas le vouloir vivre ensemble mais qui devrait nous garder d'un pareil débat. Que l'on pose les bonnes questions, aux bonnes personnes, au bon moment. Là, ce serait constructif. Car une Nation est un dialogue continuel, dont les politiques doivent se charger, de fédération des individus, des ego, multiples et variés, afin d'assurer l'intérêt général dans le temps, et dans l'espace. Bref, de convaincre chacun qu'il partage des valeurs avec les autres qui font qu'il peut s'entendre, discuter, échanger, apprendre de la diversité.
Un moi qui se cherche, un toi qui se cache ?
La société est, par essence, un groupe. Une personne seule, individuelle, un indivis isolé, est condamné à disparaître ou à sombrer dans la folie. Il en va ainsi du mal narcissique intrinsèquement présent en chaque être, et qui fait, justement, qu'il veut rester unique. Or, le groupe impose des codes, des règles, la norma, qu'il convient de respecter à peine d'en être exclu. L'individu, fondamentalement différent, ne l'est donc pas tant que cela. Il en va de sa construction. On ne naît pas français, et l'extrême droite m'en voudra terriblement, on le devient. Chacun peut être français, qu'il naisse partout dans le monde, et de parents d'origines diverses et variées. Ce n'est pas sa couleur, son origine géographique, ni sa fortune qui font de lui qu'il est français mais son éducation. Car c'est dans la construction de soi que s'affirme son appartenance au groupe. C'est en en intégrant les codes, les valeurs, que l'on devient une personne acceptée. Tout se joue donc dans la transmission, la mimesis sociale. Car pour s'affirmer chacun doit commencer par intégrer les limites à ne pas transgresser puis apprendre à s'y épanouir. Il est donc libre d'accepter les contraintes qui pèsent sur lui, une liberté grevée, faussée par la relativité terrible de la norme, mais c'est là le prix du sang. Être libre d'être commence donc toujours par la découverte de sa condition de soumission au groupe puis des liens que le groupe entretient avec les autres groupes, lesquels finissent par former la Nation. Car peut-on dire qu'il existe, sérieusement, une norme magique, toute puissante, qui s'exerce en France, partout et sur chacun, au même moment, afin de l'encourager à être semblable, d'un bout à l'autre du territoire ? Non. La faiblesse d'esprit ne serait pas là une qualité garantissant de la responsabilité... On ne naît pas français, on le devient et c'est à l'entourage, aux institutions, de porter les idéaux de notre temps et les valeurs qui devraient être les nôtres. Un conditionnel ici s'impose. Car deux valeurs, deux familles s'affrontent ; d'une part les valeurs communes, la République, la laïcité, l'égalité homme-femme, et de l'autre les valeurs individuelles, la religion, l'athéisme, les philosophies et les religions, les us et coutumes locaux... Être français, c'est donc un écartèlement entre un socle commun de valeurs, et des choix personnels. Mais c'est aussi un bien bel idéal d'égalité, lequel mérite, je crois, très largement, que l'on se batte pour lui ; mais une égalité intelligente, une égalité de la diversité, une égalité de traitement entre des personnes foncièrement différentes ; une égalité respectueuse de la volonté et du désir d'être de chacun dans la limite de l'autre. C'est là, je crois, et il n'est jamais assez nécessaire d'insister, la vocation de la politique : s'adapter aux évolutions de la Nation et nous garder dans l'envie de nous découvrir.
L'enjeu politique de demain n'est donc pas tant de définir nos valeurs communes, ce qui est assez simple mais aussi assez inutile ; on ne peut assurer ainsi la cohésion d'une population composée de groupes aux besoins différents, aux attentes parfois terriblement éloignées de la classe dirigeante si l'on n'effectue pas en permanence un dialogue de l'individuel au collectif. Il ne s'agit pas non plus d'assurer la pérennité d'un modèle, car toute mécanique, à son apogée, connait une chute terrible puis un renouvellement. On ne peut espérer maintenir à flot un bateau dont les rameurs commencent déjà à le démanteler. La mer de l'histoire ne nous attendra pas et un nouveau gouvernail évitera les récifs grossiers mais pas une dérive lente vers les sables où nous nous mourrons de morosité. Il nous faut évoluer, redonner envie aux populations de France de vivre ensemble et de bâtir, dans la diversité, et autour de valeurs communes, un droit à la différence et au respect. Cela, ça ne s'impose ni par les armes, ni par la loi, ni par de beaux discours. Il faut faire renaître, dans les cœurs, l'envie de vivre ensemble.