lundi 12 avril 2010

L'Autre, c'est le Mal.



La question de l'identité occupe le cœur de mes recherches. En y travaillant, forcément, j'en suis arrivé à réfléchir à l'épineuse question de l'intégration et, plus généralement, à l'immigration. En historien de la pensée, intrinsèquement liée à la philosophie, forcément, je pourrais avancer qu'il y eut toujours sur ce point là un problème, comme un malaise transposé d'une génération à une autre. Car toute société, tout groupe humain, voit d'un mauvais œil l'autre; cet être différent, à la personnalité propre, et donc on ne sait que trop mal ce qu'il fait, ce qu'il pense, comment il veut vivre, et ce qu'il veut, en règle générale. Avançant même que sa présence ne peut être le fruit du hasard et qu'il y a donc là quelque volonté sombre. Facilement, et rapidement, la machine à fantasme s'emballe. Le groupe se resserre alors et semble vouloir, comme un seul homme, se porter au devant du conflit d'identité qu'il a lui même engendré. A partir de ce moment, l'autre se regroupe aussi avec ceux qu'il considère comme semblables ou, plus simplement encore, avec ceux qui, comme lui, sont des « étrangers ». Le mot, terrible, vient d'être posé. A cet étranger, à cet étranger qui fait peur, car on le connait peu, voire pas du tout, on va faire porter la responsabilité des maux et troubles agitant la communauté. Véritable chasse aux sorcières donc, le voici bouc-émissaire. Les sciences humaines ont le plus souvent laissé ce phénomène dans l'ombre, n'osant écrire que le groupe a besoin de victimes à sacrifier pour entretenir son unité; une unité vacillante, branlante, ébranlée par une inadaptation à un monde en évolution rapide. Moins le groupe est soudé, moins il se sent fort, plus il est raciste, fermé, capable d'engendrer des phénomènes violents. Au contraire, plus un groupe est attaché par des valeurs communes, des projets communs, et moins il sera xénophobe. Car il n'est de racisme qu'en période de troubles, de doute, d'angoisse.
Tout se comprend alors par la théorie du bouc-émissaire, cet autre frappé du sceau de la différence qui va endosser la responsabilité des maux. Et c'est en le frappant, moralement ou physiquement, que le groupe à l'identité branlante va, pour quelques temps, se ressouder. L'intolérance de « l'étranger » est donc, tout comme le conservatisme et l'appel à la régression sociale (retour aux valeurs d'antan, aux modèles des anciens, refus de l'évolution des institutions alors que la population l'appelle), le marqueur d'une société vacillante. Je vois donc, pour ma part, dans les récents résultats du Front de la haine, simplement un malaise du vivre ensemble. J'en tire quelques pistes de réflexion. Avant tout, qu'il ne faut pas que l'UMP « droitise » ses positions et sa ligne politique. Elle doit, à mon sens, traiter la cause et non la conséquence. Il faut parler d'immigration, il faut parler d'identité, il faut parler d'intégration, mais pas n'importe comment, ni avec n'importe qui. Car, pour l'instant, personne n'a avancé de thèses défendables en la matière. Les extrémistes, bien sûr, trouvent là une branloire formidable où déverser une bile amère; pour eux, immigration zéro, plus d'immigrés, plus de problème. Pourtant, l'immigration est une chance, et un besoin. La France gagnerait beaucoup par l'intégration, mais une intégration réelle, constructive et respectueuse de chacun.
Et je ne peux m'empêcher de songer, en écrivant cela, au triste retour de la thèse de l'assimilation. Nous avons là un formidable exemple de non-solution. Pour les quelques chantres qui restent à la défendre encore, l'assimilation est la réponse au problème de l'intégration. Pourtant, cette idée ne tient pas; elle n'est qu'une théorie reposant sur des postulats qui méconnaissent à la fois la construction de l'Etre, la construction de son esprit, et de son identité. Oubliant aussi les règles permettant la construction du groupe, des rapports entre les groupes qui aboutissent à une société, et tant d'autres concepts, fondamentaux, qu'il faudrait un dictionnaire pour les regrouper toutes. Fi aussi, au passage, de la liberté de choisir; elle ré-affirme un modèle « français » figé, tout puissant, et parfait. En somme, une sorte de français-type, incréé, idéal, tout droit descendu d'un paradis par trop terrestre, porté par un Dieu à moustaches, béret rouge sur la tête, baguette sous le bras... Ces mots vous feront sourire, et pourtant, il ne faut pas. Car défendre l'assimilation revient à exiger du nouvel arrivant un apprentissage par cœur de ce modèle, et son imitation. Or, est-ce être intégré, véritablement, que de jouer un rôle? La réponse est sans appel, et négative. D'ailleurs, pareille obligation serait pis encore que ne rien faire.
En reprenant le début de ce texte, vous vous apercevrez que le rejet de l'autre par le groupe entraîne le communautarisme (lequel n'est pas forcément une mauvaise chose puisqu'il est naturel à tout État, un article prochain viendra préciser ces idées là). En somme, l'assimilation engendre ce contre quoi elle espérait lutter. Ces postulats ne tiennent pas. Qui peut, aujourd'hui, représenter « le » français? Qui peut avancer un modèle, unique, un prototype, stéréotypé ? Personne, et heureusement, car la France ce n'est pas çà, et tant mieux. Nous sommes la diversité et devons être le respect de l'autre. Nous ne voulons pas d'un relent colonial nauséabond du « bon français » civilisant par « bonté » le « pauvre sauvage ».
Une des pistes permettant à mon sens de réduire la fracture des populations sur cette difficile question serait de stimuler l'envie du vivre ensemble. Cette envie est liée à une curiosité pour l'autre, réciproque et partagée dans la durée, et dans la diversité. De notre diversité, de nos différences, de nos points communs aussi, nous avons tout à gagner. Imaginons une France de liberté d'être, et où nous serions groupés autour d'un socle commun de valeurs. Ces valeurs, c'est notre héritage de liberté, d'égalité, et de fraternité. Et je suis tenté d'ajouter, dans la marge, et « unis dans la volonté de vivre ensemble »

Nicolas Madelénat di Florio, avril 2010.